Quand l'Italie reprend ses relations avec la France

Forces Nouvelles 10/3/1945

 

Le gouvernement Bonomi ayant admis la caducité des conventions du 28 septembre 1896 relatives au statut des Italiens de Tunisie, on peut dire que, désormais, aucune question vraiment grave ne sépare plus la France de la nouvelle Italie.

Sans doute, je ne pense pas que notre gouvernement renonce à une légère rectification de frontière dans la vallée d'Aoste, où vivent des populations de langue et de civilisation françaises, spécialement maltraitées, ces dernières années, par Mussolini. Mais il s'agit de territoires si restreints que l'Italie aurait mauvaise grâce à ne pas y consentir.

Pour ce qui est du statut des Italiens de Tunisie, qui pose un incontestable problème (ces Italiens ne sont-ils pas notre seule « minorité »), il est certain que la France adoptera une attitude libérale, dès lors qu'elle est assurée de la régler sous sa seule souveraineté.

La mission du nouvel ambassadeur d'Italie en France s'ouvre sous d'heureux auspices. Au reste, on le constate et peut-être n'y fûmes-nous pas totalement étrangers, la position diplomatique de l'Italie s'améliore. L'armistice italien a été largement révisé, et dans un sens qui permet de dire que l'Italie a retrouvé la plénitude de sa souveraineté. Désormais, le gouvernement italien pourra promulguer ses lois et décrets sans aucun contrôle et sans demander, préalablement, l'assentiment des Alliés. « Le gouvernement italien pourra nommer librement ses fonctionnaires... » « Le gouvernement italien pourra, désormais, nommer ses représentants diplomatiques à l'étranger sans aucune immixtion alliée... »

Il faut rapprocher aussi de cette révision, les récentes déclarations de M. Churchill aux Communes. Celui-ci, dans son discours pour rendre compte de Yalta, a affirmé que contrairement à ce qu'on avait insinué, l'Angleterre ne manifestait que de bons sentiments à l'égard de l'Italie. Il est certain que la position de l'Angleterre vis-à-vis de son ancienne ennemie a évolué, et que sa première attitude, assez dure, tend à se modifier. Les mobiles de l'Angleterre, dans cette évolution, sont sans doute assez nombreux. La Grande-Bretagne ne veut peut-être pas, dans la réconciliation, se laisser trop distancer par la France. Elle s'est rendu compte aussi que le gouvernement Bonomi était le seul actuellement à pouvoir donner un minimum de stabilité politique à l'Italie, et qu'il importait de le soutenir. La révision de l'armistice a certainement donné à ce gouvernement une grande popularité. Enfin, dans l'espèce de partage des sphères d'influence en Europe, entre l'Angleterre et l'URSS, l'Italie a été placée dans la zone britannique. Or on ne maintient pas un pays dans son orbite par la rancune et la mauvaise humeur. L'Italie est un des jalons essentiels sur la grande route méditerranéenne. L'Angleterre ne peut pas indéfiniment se l'aliéner.

Un fait a peut-être précipité cette réconciliation : les revendications yougoslaves sur la région de Trieste et la Vénétie slovène. Il semble que, dans ces régions, le maréchal Tito ne se contenterait pas de ramener l'Italie à sa frontière de 1914, mais qu'assimilant les Frioulans à des Slaves, il veuille porter la limite du pays slovène jusqu'au Tagliamento, en annexant Udine. D'après un remarquable article de M. Pierre E. Briquet, dans la Gazette de Lausanne, « les Yougoslaves voudraient que le Natizone formât la frontière, puis que celle-ci suive l'Isonzo jusqu'à son embouchure dans l'Adriatique. Mais la réussite de ces revendications aurait pour conséquence d'installer les Slaves jusque dans la plaine vénitienne, dépouillant l'Italie de toute frontière stratégique. Elle se trouverait sous la pression permanente des Yougoslaves dont on sait qu'ils gravitent dans l'orbite russe. En précipitant sa réconciliation avec l'Italie, l'Angleterre n'a-t-elle pas voulu, immédiatement, faire échec à ces projets qui iraient nettement à l'encontre du partage d'influence dont nous avons parlé ? Le moyen était bon, en tout cas, pour faire sentir que, derrière l'Italie, il fallait voir aussi la grande Bretagne.

Les revendications yougoslaves ont d'ailleurs eu, paraît-il en Italie, une autre conséquence, qui est de nature, elle aussi, à renforcer la position du cabinet Bonomi tout en le rapprochant de la Grande-Bretagne, c'est la régression du parti communiste, qui se trouve en porte à faux entre son patriotisme et l'amitié yougoslave qu'il a hautement proclamée.

Pour nous, Français, qui, oubliant le 10 juin 1940, avons été les premiers à tendre la main à la malheureuse Italie, nous ne pouvons que nous réjouir de lui voir reprendre son rang. Sans doute, n'a-t-elle pas obtenu des « Trois » que lui soit concédée le rang de « Nation unie », l'URSS s'y étant, paraît-il, opposée. Tout au moins la voici, de nouveau, pleinement souveraine et indépendante.